Le Club de Mogador : Légende d'une Ville Cosmopolite

 

Le Club de Mogador : Légende d'une Ville Cosmopolite
Au début du XXe siècle, Mogador, cette ville côtière endormie par les vents de l'Atlantique, était un carrefour où se mêlaient les cultures et les destins. Ses ruelles animées résonnaient des échos de marchands juifs, de consuls européens et d'aristocrates musulmans, chacun tissant sa propre histoire dans le tissu complexe de la ville. Au cœur de cette mosaïque sociale, un lieu particulier rayonnait : le Club de Mogador , un bastion d'élégance et d'intellect, symbole d'une époque où la diversité culturelle de la ville brillait de mille feux.

La Naissance d'un Reflet Cosmopolite:
Fondé au tournant du siècle par un personnage charismatique du nom de Pepe Ratto , un sujet britannique d'origine sévillane, le Club de Mogador fut dès ses débuts un espace unique en son genre. Ratto, entrepreneur audacieux, était également le propriétaire de l'Hôtel La Palmera , un autre lieu légendaire de la ville. Ayant sa réputation en tant que consul du Brésil et commerçant influent, Ratto rêvait d'un lieu où les élites de Mogador pourraient se rencontrer bâtir, discuter et échanger librement, loin des tensions du monde extérieur.


“les ruines de l’hôtel La Palmera, 2022”

Ce rêve est devenu réalité lorsque le club a ouvert ses portes dans un bâtiment à Bab Sebaa, près de "Dar Souiri". C'était un sanctuaire, un havre où les membres des bourgeoisies européennes, juives et musulmanes pouvaient se côtoyer dans le respect et l'amitié. Les discussions enflammées sur la politique, le commerce ou la philosophie se tenaient autour de tables où résonnaient des langues multiples : l'arabe, l'espagnol, le français et l'hébreu.

"Premier emplacement du Club de Mogador."

Dans cette ville marocaine marquée par la diversité, le club était une enclave de tolérance et de modernité. Contrairement à d'autres cercles plus exclusifs, il accueillait des membres de toutes confessions et origines sociales, pourvu qu'ils partagent un amour pour la convivialité et l'échange intellectuel.

Un Lieu de Rencontres et d'Échanges:
À l'intérieur du club, les murs étaient ornés de peintures, les étagères croulaient sous des journaux venus des quatre pièces du monde, et des fauteuils en cuir capitonné invitaient à la détente. Les membres, hommes et femmes triés sur le volet, ensuite y lire les nouvelles du monde, jouer aux échecs ou discuter des événements récents. La guerre grondait en Europe, mais ici, à Mogador, on parlait d'art, de culture, et des transformations à venir pour le Maroc.
Pepe Ratto, avec sa vivacité d'esprit et son charisme naturel, dirigeait les débats. On venait de loin pour entendre ses récits de voyages et ses réflexions sur l'avenir du pays. Sous sa présidence, le Club de Mogador est rapidement devenu un des cercles les plus prisés de la région, attirant non seulement les résidents de Mogador mais aussi des visiteurs de Casablanca, Rabat, et même des voyageurs étrangers en quête d'exotisme et d'aventures...

Arrivée de voyageurs au port de Mogador 1916

“Club de tennis à Mogador, photo non datée.”

Le Déclin et la Mort d'un Pionnier:
Mais en 1917, le destin frappa brutalement. Pepe Ratto, ce bouillonnant entrepreneur, mourut soudainement, plongeant le club dans une période de doute. Sa disparition laissait un vide immense. Il n'était pas seulement le fondateur, mais l'âme du Club de Mogador. Après sa mort, la présidence fut confiée à Boulle , un directeur d'agence de la compagnie Paquet. Cependant, même avec ce changement de direction, il était clair que l'esprit d'insouciance et de complicité qui avait marqué l'ère Ratto ne serait plus jamais le même.


Le Renouveau sous un Autre Jour:
En 1922, une décision majeure fut prise. Le club déménagea officiellement à la Casbah , un lieu chargé de symbolisme et d'histoire. Ce transfert dans l'ancien palais du Pacha El Majdoub redonne au Club de Mogador une nouvelle vitalité. La Casbah, avec ses allées majestueuses et ses cours intérieures baignées de soleil, devint le théâtre de réceptions fastueuses, de bals élégants et de soirées littéraires où l'élite de la ville se retrouvait pour échanger des idées. Les salles du club résonnaient de débats passionnés sur l'avenir du Maroc, et des diplomates y discutaient des grandes transformations du siècle.

“Membre du Club Mogador en 1922 (Collection S. Levy-Corcos).”
“Membre du Club Tennis à Mogador (Collection Melca.info)”
“Emplacement du club de 1922, maintenant café Bab LAÂCHOUR. Photo 2023.”

Ce nouveau chapitre était marqué par une ambiance légèrement différente. Le club, autrefois simple lieu de détente et d'échange, s'est transformé en une institution influente. C'était ici que les grandes décisions étaient évoquées, que les alliances se formaient, et que les projets économiques prenaient racine. Boulle, bien qu'un dirigeant compétent, ne possédait pas le charisme de Ratto, mais il avait compris que pour survivre, le Club de Mogador devait s'adapter à son époque.

“Bal du 16 mars 1935 au Club Mogador. (Photo : Melca.info)”

Le Crépuscule d'une Époque

Malgré ce renouveau, l'ombre du passé continuait de planer sur le Club de Mogador. Tandis que l'Hôtel La Palmera, autrefois joyau de la famille Ratto, tombait en ruines après la Première Guerre mondiale et l'occupation militaire française, le club lui-même commençait à ressentir les effets des changements politiques et sociaux du pays. La montée des mouvements indépendantistes marocains et l'éloignement progressif des élites européennes transformèrent peu à peu la ville et son club.

Peu à peu, la grandeur du Club de Mogador s'estompa, ses membres s'éloignèrent, et l'établissement autrefois vibrant devint un lieu fantomatique. Les conversations passionnées, les rires et les échanges intellectuels qui avaient animé ses salles firent place au silence.

La Maison de France à Mogador en 1947

Héritage et Mémoire

Aujourd'hui, le Club de Mogador n'est plus qu'un souvenir pour ceux qui ont connu sa splendeur. Les descendants de ces familles cosmopolites, juives, européennes et musulmanes, se rappellent encore des soirées étoilées où l'on discutait du monde, dans une ville où la diversité culturelle était célébrée. Dans les ruelles de Mogador, on raconte encore l'histoire de Pepe Ratto, ce pionnier qui rêvait d'unir les cultures à travers un lieu unique, où l'Atlantique apportait avec lui non seulement des vagues, mais aussi des idées et des espoirs. du meilleur monde.

Aujourd'hui, des échos et des rumeurs courent dans les ruelles d'Essaouira. On parle d'une acquisition récente de l'ancien Club de Mogador, installé en 1922 dans l'emplacement qui abrite actuellement le café "Bab Laâchour", par un investisseur souiri. Le lieu est actuellement en travaux, et certains se demandent : est-ce le retour tant attendu du Club de Mogador après tant d'années d'oubli ? Peut-être est-il sur le point de renaître, avec tout le charme et la splendeur qui firent sa réputation jadis. Ainsi, le Club de Mogador est devenu une légende vivante, un symbole de l'âge d'or d'Essaouira, cette ville portuaire où l'échange et la tolérance furent, un temps, les maîtres-mots.


“Des enfants musulmans et juifs à BHAR LAKLUB (La Plage du Club).”

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