Les Haddaouis et les Hippies : Sur les Routes de la Liberté et de la Spiritualité à Essaouira
Quand j’étais petit, je me souviens que ma mère, lorsqu’elle se mettait en colère parce que je m’étais encore sali, me lançait : « Tu ressembles à un Haddaoui ! ». À l’époque, je ne comprenais pas bien ce que cela signifiait. Pour moi, un Haddaoui, c’était simplement un clochard, quelqu’un sans abri. Mais ce mot réapparaissait toujours à l’approche du festival de Gnaoua à Essaouira, que beaucoup appelaient « le festival des Haddaouis ».
Les Haddaouis, qui semblent être des pèlerins mystiques, auraient puisé dans cet héritage spirituel. On raconte qu’ils parcouraient les terres marocaines, se détachant des biens matériels pour se rapprocher de Dieu. Leurs déplacements les amenaient de marabout en marabout, tissant des liens entre les différentes confréries religieuses et les communautés locales. Ils incarnaient une forme d’errance volontaire, toujours en quête de cette extase divine que l’on appelle jedba, un état de transe mystique qui les faisait échapper aux réalités de ce monde.
Ce mode de vie ascétique et mystique des Haddaouis résonne fortement avec celui des Mejdoubs, ces mystiques atteints de folie divine, qui vivaient aux marges de la société, libres des contraintes sociales et des biens matériels. Le Haddaoui était ainsi un être en marge, mais proche du divin, vivant une liberté absolue dans sa quête de transcendance.
Plusieurs siècles plus tard, un autre mouvement en quête de spiritualité et de liberté émergeait dans un tout autre coin du monde. Dans les années 1960, le mouvement hippie faisait vibrer l’Occident. Les jeunes d’Europe et d’Amérique du Nord, déçus par le matérialisme de leurs sociétés, cherchaient un retour à la nature, à la simplicité et à la paix intérieure. Pour certains, Essaouira, cette ville portuaire du Maroc, représentait un refuge mystique où la modernité semblait s’arrêter. Comme les Haddaouis, les hippies fuyaient les conventions sociales, mais à leur manière.
Essaouira, avec ses traditions soufies et la musique envoûtante des Gnaouas, devint une destination incontournable pour ces jeunes idéalistes. La ville offrait un cadre où il était possible de se libérer du tumulte de l’industrialisation. Les hippies arrivaient souvent en groupe, entassés dans des vans Volkswagen colorés, portant des vêtements excentriques, avec pour seuls bagages des valeurs de paix, d’amour et de liberté. Là, dans cette atmosphère enivrante, ils trouvaient une forme de spiritualité qui résonnait étrangement avec celle des Haddaouis.
La musique gnaoua, en particulier, captait leur imagination. Ce rythme hypnotique, ancré dans des rituels soufis, semblait élever l’âme au-delà des préoccupations terrestres, tout comme la jedba des Haddaouis. Les séances d’improvisation musicale avec les Gnaouas et les hippies devinrent ainsi des moments de communion entre deux mondes, chacun cherchant une forme de liberté spirituelle.
À première vue, il serait facile de penser que les Haddaouis et les hippies appartiennent à deux époques et deux mondes radicalement différents. Pourtant, un examen plus approfondi révèle des points communs profonds dans leur quête existentielle.
café Hippie Essaouira 1972 |
Les Haddaouis et les hippies, malgré les siècles qui les séparent, ont chacun à leur manière trouvé dans Essaouira un lieu de transformation spirituelle. Que ce soit par la musique, la méditation ou l’errance, les deux groupes incarnent l’idée que le véritable voyage n’est pas celui du corps, mais celui de l’âme.
Aujourd’hui, en repensant aux paroles de ma mère, je réalise que ce qu’elle voyait en moi, ce n’était pas seulement un enfant désordonné, mais peut-être aussi un esprit libre, comme les Haddaouis et les hippies, en quête de quelque chose de plus grand.