Phare de Sidi Magdoul et la Colline du Bon Dieu : Mémoire d’une Essaouira Perdue entre Tradition et Modernisation

 


L’histoire du phare de Sidi Magdoul et de la colline du Bon Dieu, à Essaouira, est intimement liée à la culture et aux traditions de cette ville. Ces lieux symboliques étaient jadis bien plus qu'un simple phare ou une colline. Ils représentaient un point de convergence pour toutes les communautés de la ville, où se mélangeaient célébrations religieuses et moments de convivialité. Abdelkader Mana, ethnographe et écrivain originaire d'Essaouira, nous livre un récit empreint de nostalgie sur l'évolution de ces espaces autrefois sacrés et festifs.

Le Phare de Sidi Magdoul, Gardien de la Ville

Construit en 1914 sous le protectorat français, le phare de Sidi Magdoul s’élevait à 14,80 mètres au-dessus du sol, servant de guide aux navigateurs de la région. Mais il ne s'agissait pas seulement d'une infrastructure maritime : Sidi Magdoul, le saint qui donne son nom au phare, était le patron des marins et des pêcheurs d’Essaouira. Avant chaque saison de pêche, une procession se tenait autour de son mausolée, marquée par des prières et des sacrifices, dont celui d’un taureau noir. La croyance populaire voulait que Sidi Magdoul bénisse les mers et facilite les captures, ce qui montre l'interdépendance entre la spiritualité et la vie économique des habitants.


La Colline du Bon Dieu, Lieu de Pèlerinage et de Mémoire

Non loin du phare, la colline du Bon Dieu était un lieu mystique entouré de dunes et de mimosas. Les femmes, vêtues de haïks, s'y rendaient régulièrement pour honorer la mémoire de leurs défunts en déposant des plantes et des fleurs sur les tombes. Ce lieu respirait la sérénité et la méditation. Les artisans et habitants d'Essaouira organisaient des pique-niques hebdomadaires, les fameuses "Nzaha", où les communautés juives et musulmanes se retrouvaient. Que ce soit pour célébrer les fêtes musulmanes comme l'Aïd el-Kebir et le Miloud, ou les fêtes juives comme Hanouka et Pessah, la colline du Bon Dieu offrait un cadre de rassemblement chaleureux et respectueux.



Une Convivialité Partagée entre Musulmans et Juifs

Sous le regard bienveillant de Sidi Magdoul, ces rencontres religieuses et culturelles reflétaient l’harmonie qui régnait autrefois entre les communautés juive et musulmane d'Essaouira. Les familles venaient partager des repas, organiser des fêtes en plein air, et perpétuer des rituels millénaires. C’était un temps où les distinctions religieuses s’effaçaient dans un esprit de convivialité, où les musulmans fêtaient aux côtés des juifs leurs grands moments, tout comme l’inverse lors des fêtes religieuses juives. Cela faisait partie de l’âme d’Essaouira, marquée par un cosmopolitisme et un syncrétisme culturel rare.

La Métamorphose des Lieux, Témoignage de Mana

Abdelkader MANA
Ethnologue et écrivain

Abdelkader Mana, à travers ses récits, témoigne de la transformation progressive de ces espaces sacrés en zones urbanisées, vouées au profit économique. Selon lui, le phare de Sidi Magdoul, entouré aujourd'hui d’immeubles luxueux, a perdu son caractère mystique. La colline du Bon Dieu, autrefois havre de paix et de méditation, a été engloutie par des constructions immobilières, des villas et des infrastructures touristiques. Mana parle de cette transition comme d'une "destruction barbare" où l’âme des lieux, autrefois si riche en symboles et en mémoire collective, a été remplacée par des projets de luxe, excluant les plus modestes.


Le Rêve Brisé d'une Essaouira pour Tous

Le constat est clair : cette modernisation galopante a créé une fracture sociale. Les pêcheurs, artisans et habitants d'origine sont peu à peu chassés de leur propre ville, incapables de faire face aux coûts de la vie et de l'immobilier. Loin de leurs racines, ils s’installent dans les villages avoisinants, où les difficultés de transport et la précarité ajoutent à leur peine. Ainsi, ce qui était autrefois un espace de partage et de vie commune est devenu un lieu réservé à une élite, ce qui participe, selon Mana, à l'« expulsion douce » des plus démunis d'Essaouira.

Ce récit est un appel à préserver l’esprit des lieux et à résister à une transformation qui, bien que bénéfique économiquement, risque de faire disparaître la richesse immatérielle de la ville : ses traditions, son histoire, et sa convivialité légendaire.


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